FOI ET CONSENTEMENT : BRISER LE SILENCE SUR LE VIOL CONJUGAL AU TOGO PAR ELISABETH APAMPA
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« Chaque jour, tu m’humilies par tes paroles, tu lèves la main sur moi… et pourtant, tu réclames mon corps comme si de rien n’était ? »
— Témoignage d’une femme croyante confrontée aux violences conjugales, y compris sexuelles, aujourd’hui en instance de divorce au Togo.
Selon ONU Femmes (2024), plus de 640 millions de femmes dans le monde (soit 1 sur 4) ont été victimes de violences conjugales. Ces actes se déroulent, pour la plupart, dans l’intimité du foyer, souvent perpétrés par un partenaire ou un époux.
Au Togo, le mariage est profondément ancré dans la foi et les traditions. Il est considéré comme un engagement sacré, notamment dans les communautés religieuses. Pourtant, derrière certaines portes closes, des femmes vivent en silence une réalité douloureuse : le viol conjugal.
Au Togo, le viol conjugal est réprimé par la loi. Toutefois, le silence des survivantes freine l’application effective de cette disposition.
Lors de notre entretien à Lomé, Maître Moamar Tidjani, avocat au Barreau de Paris et collaborateur du cabinet Aquereburu & Partners, a été clair : le viol conjugal est reconnu par le droit togolais et formellement proscrit. Le dictionnaire juridique le définit comme un viol commis par un conjoint, un concubin ou un partenaire lié par un pacte civil de solidarité, et considéré comme une circonstance aggravante. Cette réalité est bien prise en compte dans le Code pénal togolais.
« Il faut comprendre que le viol conjugal est sanctionné à deux niveaux : par le Code pénal et par le Code des personnes et de la famille. Aucune disposition légale n’autorise un homme, sous prétexte qu’il est marié, à disposer du corps de son épouse sans son consentement. »
Maître Tidjani cite les articles 95 et 98 du Code des personnes et de la famille : Article 95 : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance et respect. » Article 98 : « Les rapports entre époux doivent être fondés sur l’entente, le respect et la dignité réciproques. » Ces dispositions posent les bases d’un mariage équitable, où les relations sexuelles doivent être libres et fondées sur le consentement mutuel. « L’homme est certes considéré comme chef de la famille, mais il ne gouverne pas seul. Il dirige avec sa femme, dans un esprit de respect mutuel. Ce principe est clairement posé par la loi. »
Pour lui, les professionnels du droit ont un devoir de sensibilisation : « Les avocats, juristes, leaders religieux sont la conscience de notre société. Ils doivent mieux communiquer sur ces sujets sensibles. La loi est là. Il faut s’en servir pour protéger les femmes et sanctionner ceux qui utilisent la violence pour satisfaire leur plaisir. Une injustice reste une injustice, même dans le mariage. »
Du côté du Code pénal, le cadre juridique est tout aussi explicite. Un chapitre est consacré aux violences, avec une section spécifique sur les violences faites aux femmes :«Article 211 : définit le viol en mettant l’accent sur l’absence de consentement, et en évoquant des circonstances aggravantes» ; «Article 212 : prévoit des peines d’intérêt général, d’emprisonnement, et des sanctions alourdies en cas de récidive» ; «Article 232 : englobe toutes les formes de violences – physiques, psychologiques et sexuelles.» La distinction entre viol conjugal et violences conjugales est importante. Le viol conjugal concerne spécifiquement les rapports sexuels non consentis, imposés par la contrainte ou la menace entre conjoints. En revanche, les violences conjugales peuvent inclure des abus de nature physique, psychologique, sexuelle ou économique. Selon Maître Tidjani, en cas de viol conjugal avéré, la justice peut prononcer des travaux d’intérêt général dans un premier temps (720 heures de travaux d’intérêt général). En cas de récidive, une peine d’emprisonnement de 10 à 12 mois, assortie d’une amende de 200 000 à 1 000 000 francs CFA.

Pourtant, malgré ce cadre juridique, le véritable problème reste la parole des survivantes.
« Beaucoup de femmes ignorent leurs droits. Et même lorsqu’elles les connaissent, elles se taisent. Dénoncer un viol commis par son époux est très difficile à cause du regard de la société, des pressions familiales et du silence imposé par la communauté. »
Il déplore que certains dossiers n’aient pas vraiment abouti : « J’ai déjà eu à traiter ces cas dans ma carrière. Malheureusement, certaines victimes n’ont pas toujours la force ou le soutien nécessaire pour aller jusqu’au bout de la procédure. C’est justement cela qu’il faut changer. » Mais il precise qu’en soutien aux victimes : Le viol conjugal est une infraction grave qui déclenche ipso facto une action publique. Il est poursuivi d’office au Togo, même en l’absence de plainte. Cela signifie que toute autorité judiciaire ou policière informée peut ouvrir une procédure.
Maître Tidjani appelle donc à une mobilisation collective, afin que plus aucune femme ne soit contrainte au silence dans son propre foyer. Et à une femme qui pense qu’elle ne peut pas dire « non » à son mari ? Il rappelle que le mariage n’est pas un contrat de servitude sexuelle, mais une institution respectable qui établit des droits et des obligations réciproques. L’article 97 alinéa 1 du Code des personnes et de la famille dispose que les époux se doivent « respect et affection », « soin et attention réciproques ». Il en découle que le mariage doit être un espace de bien-être, de protection, d’épanouissement et de plaisir pour les deux conjoints. Le consentement est un droit fondamental, attaché à la dignité humaine, confirmé à l’article 98 alinéa 2 : « Les rapports sexuels entre époux sont libres et consensuels. »
Aujourd’hui encore, le viol conjugal reste un sujet tabou, entouré de silence. Des freins d’ordre culturel, religieux ou émotionnel, la peur d’être stigmatisée, le souci de préserver l’unité familiale ou encore la méconnaissance des droits rendent la parole difficile. Mais le droit est du côté des survivantes. Il faut désormais briser le silence.

Y., la survivante que nous avons rencontrée (nom d’emprunt), est l’ex-épouse d’un membre actif d’une église catholique au Togo. Voici son témoignage :
« Mon ex-conjoint me frappait et disposait de mon corps comme il voulait. Après une dispute où il m’a bien battue, il est revenu au lit, m’a touchée avec ses pieds. J’ai refusé. Ce simple “non” a déclenché une réunion familiale. Le pasteur m’a dit plus tard : “Le mal est fait. Il a juste voulu avoir sa femme. Il faut continuer de discuter entre vous, vous avez deux enfants.” Mais jamais personne n’a appelé cela un viol.
J’étais contrainte à coucher avec mon mari. Il m’a utilisée comme il voulait, quand il voulait. À ses yeux, je n’étais qu’un objet sexuel. À la réunion familiale, il a dit devant mes parents que puisque je lui refuse maintenant mon corps, je ne suis plus que la nounou de ses enfants. Aujourd’hui tout est dégradé et nous sommes en instance de divorce.
Je me suis mariée avec un homme qui me battait tout le temps et m’insultait comme il voulait. La nuit tombée, malgré l’humiliation de la journée, Monsieur voulait avoir des relations sexuelles avec moi. J’étais psychologiquement abattue. Je pleurais à chaque fois. Quand j’osais parler, on me répondait toujours : “C’est le foyer, il faut supporter. Moi je vis pire que toi.” J’ai vécu cette souffrance pendant 4 ans, jusqu’au jour où j’ai dit NON à ces violences. J’ai parlé à des prêtres religieux, mais ils étaient pieds et poings liés parce que mon mari faisait régulièrement des dons à l’Église. Ils ne m’ont jamais dit de partir. Quand il me battait et que j’appelais un prêtre, il me disait de me calmer, de tenir bon pour les enfants.
J’ai parlé à mes parents. Ils m’ont dit : “Tu ne peux pas refuser ton corps à ton mari, peu importe la situation.” Après mes nombreuses plaintes, ils ont convoqué Monsieur. Il leur a dit que je ne suis qu’une nounou désormais pour les enfants. Le déclencheur ? Une énième dispute. J’avais pourtant raison. Mais je suis allée vers lui pour m’excuser. Il m’a insultée de tous les noms, puis il est revenu me toucher avec ses pieds sur le lit pour réclamer son ‘droit conjugal’. Là, j’ai dit NON. Tu ne peux pas m’humilier, puis venir comme si de rien n’était pour faire l’amour. Je vivais un enfer. Je suis encore sous le choc.
Je me disais : “Je me suis mariée à un homme intellectuel, avec un Master. Je suis donc à l’abri de la violence.” Au contraire. J’ai cru être en sécurité avec un homme et de surcroît, un juriste, mais je me suis retrouvée en danger. »
Ce témoignage bouleversant illustre une des violences les plus sournoises : celle qui s’exerce sous couvert du mariage, au nom de la foi, de la tradition, ou du devoir conjugal. Ce silence, entretenu par la peur, la culpabilité, les injonctions religieuses ou familiales, empêche des femmes de se libérer.
Des chiffres parlants, un silence pesant
En 2022, 1 651 cas de violences basées sur le genre (VBG) ont été traités par les centres de soutien au Togo, incluant des cas de violences sexuelles (UNFPA). Mais beaucoup passent sous silence. En 2017, 7,2 % des femmes mariées déclaraient avoir été physiquement forcées par leur mari à avoir des rapports sexuels (UNICEF). Pourtant, seulement 55 % des femmes prennent elles-mêmes leurs décisions en matière de santé et de sexualité (UNFPA, 2020). « La loi existe, mais son application se heurte aux croyances. Beaucoup pensent que le mariage donne un droit automatique au corps de l’autre », explique un juge du tribunal de Lomé.
Quand la foi devient justification ou libération
Certaines femmes nous ont partagé qu’il leur a été difficile d’exprimer leur refus de rapports sexuels non consentis, car elles ont reçu des enseignements religieux leur rappelant le « devoir conjugal ». Cette pression, parfois intériorisée, peut rendre le discernement difficile entre amour, devoir et contrainte. Des versets sont souvent cités :
« Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. » (Éphésiens 5:22) Mais ce passage est souvent lu sans le contexte complet. Deux versets plus loin, il est aussi écrit : « Maris, aimez vos femmes comme Christ a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle. » (Éphésiens 5:25) Cela souligne un appel à l’amour mutuel, au respect et au don de soi – et non à l’abus de pouvoir ou à la contrainte. Dans cette optique, le consentement reste fondamental même dans le cadre du mariage.
De la même manière, dans le Coran, certains versets comme : « Les hommes ont autorité sur les femmes… » (Sourate 4, verset 34) sont parfois interprétés de manière littérale et sortis de leur contexte. Pourtant, d’autres passages insistent sur la tendresse et le respect réciproque : « Et parmi Ses signes, Il a créé pour vous, de vous-mêmes, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles, et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. » (Sourate 30:21)
Mais ni la Bible ni le Coran ne promeuvent la violence ou la contrainte dans le couple. Loin de là, ils invitent au respect, à l’écoute et à la dignité de chaque être humain. La majorité des Togolais se réclament d’une religion. Les leaders spirituels comme les pasteurs, imams, prêtres, chefs traditionnels façonnent les normes sociales. Alors que disent-ils du consentement ? De la violence dans le couple ?
Pour éclairer la dimension spirituelle de cette problématique, nous avons recueilli les propos du Pasteur EDOH Komi, 1er adjoint au maire de la commune Golfe 2 au TOGO, Président du Mouvement Martin Luther King (MMLK), qui appelle à un mariage fondé sur l’amour, le respect et le dialogue.
Pour le pasteur, le mariage est avant tout une institution divine, un engagement sacré où l’homme et la femme deviennent « une seule chair ». A ce titre, il insiste sur l’importance du dialogue, de la prière et de la soumission mutuelle comme piliers pour éviter que le foyer ne se transforme en enfer. Abordant la question du viol conjugal, il déplore fermement cette réalité trop souvent tue « Lorsqu’on aime vraiment, on ne peut pas faire du mal à l’autre, encore moins aller jusqu’au viol ». Selon lui, les femmes sont les principales victimes de ces abus, mais il reconnaît aussi que certains hommes en souffrent également.
S’appuyant sur les Écritures, le pasteur rappelle que dans le mariage, les corps des époux ne leur appartiennent plus individuellement. (1 Corinthiens 7:4) Cependant, cela ne signifie pas une soumission aveugle ou un droit de possession : « Il doit y avoir un consentement. Les rapports sexuels ne doivent jamais être forcés, même dans le cadre du mariage. » Il souligne que les désirs sexuels peuvent venir autant de l’homme que de la femme, et qu’il est important de s’écouter mutuellement, surtout dans les moments de fatigue ou de vulnérabilité. Un corps qui est fatigué ne peut jamais rendre un résultat satisfaisant et quand est-il de l’acte sexuel qui demande toute l’énergie du corps et même psychologique il est impératif de s’écouter et surtout de dialoguer pour comprendre les besoins des uns et des autres.
Pour lui, la clé d’un mariage sans violence repose sur l’équilibre entre l’amour et la soumission : « L’homme est appelé à aimer et à chérir sa femme, et la femme à se soumettre selon les saintes Écritures. Quand chacun joue pleinement son rôle avec amour et respect, il ne devrait plus y avoir de place pour la violence.
L’imam DIOUF Mamadou Alioune Journaliste et islamologue, de son côté, rappelle avec clarté les principes de l’islam en matière de vie conjugale.
Selon l’imam, dans l’islam, la clé d’une vie de couple sereine réside dans le respect des devoirs. Il insiste : « En islam, on met en avant les devoirs avant les droits. Quand tu accomplis tes devoirs, tu respectes en même temps les droits des autres, y compris ceux de ta femme et de tes enfants. »
Le mariage, selon lui, est un espace de sérénité, de communion et d’affection. L’imam a également souligné l’importance de la communication, non seulement dans la gestion des charges du foyer, mais aussi dans l’intimité : « La communication doit aussi exister dans le domaine sexuel. Il faut préparer son conjoint, surtout face à des fléaux comme la fatigue, le stress ou le manque d’envie. » Enfin, il a rappelé qu’il est interdit, dans la foi musulmane, d’aller chercher la satisfaction ailleurs. L’imam rappelle que dans l’islam, l’acte sexuel n’est pas un acte subit ou mécanique, mais un acte préparé, chargé de sens et de spiritualité. Il explique : « L’union intime, en islam, est considérée comme une forme d’adoration. Elle doit être empreinte d’affection, d’amour et de tendresse. »
De plus, il insiste sur la dimension humaine et spirituelle de l’acte : « Ce n’est pas un moment pour parler de Dieu, mais un moment où la douceur et le respect doivent primer. Le Coran met en garde contre toute brutalité : <<N’allez pas à vos femmes comme le coq va à la poule.’ Cela ne doit en aucun cas être un acte de barbarie. >> Par conséquent, en islam on ne peut pas parler de violences faites sur les femmes et encore moins du viol, car le coran défend toutes formes de violences. Dans l’islam quand on parle de mariage, il s’agit d’un contrat entre un homme et une femme qui acceptent de se mettre ensemble pour avoir une progéniture et d’éduquer cette progéniture avec harmonie.

D’un point de vue traditionnel, le prêtre Ake O’lokan affirme que, bien que le concept de viol conjugal n’existe pas vraiment dans le vaudou, les textes sacrés recommandent le respect mutuel.
Sur la question de l’autonomie corporelle, Ake O’lokan répond : « Lorsque vous respectez les textes sacrés, vous respectez automatiquement l’intimité d’une femme. Lorsque vous êtes attaché à la tradition, vous comprenez qu’une femme est sacrée. » Pour lui, le Vodou, c’est vivre en harmonie, et dans cette harmonie, la femme est le pilier. Il insiste sur l’importance de respecter les désirs des femmes, affirmant que tout repose sur la communication : c’est par le dialogue et l’écoute que les relations s’équilibrent et que l’intimité est respectée.

Une relecture féministe des textes religieux
Des femmes féministes remettent en cause les interprétations patriarcales, notamment dans une société où le devoir conjugal est souvent perçu comme une obligation silencieuse. Nous avons rencontré quelques-unes d’entre elles dans leur lieu de travail.

M’béna BA Badjoumbena BAKOLE, militante féministe radicale et conseillère technique en Genre et Développement, rappelle que le consentement sexuel doit être renouvelé à chaque fois, et ne peut jamais être tenu pour acquis. Lors de notre entretien, elle dénonce la banalisation des rapports sexuels non consentis au sein du couple : « Qu’un couple soit marié ou non, les rapports sexuels ne doivent jamais être forcés. Ce n’est pas parce que j’ai accepté un rapport aujourd’hui que je suis obligée de le faire demain. Refuser ne fait pas de moi une mauvaise épouse. »
Pour elle, une relation saine implique une reconnaissance mutuelle des besoins, des limites et du rythme de chacun. « Être une bonne femme, ce n’est pas se soumettre en toutes circonstances. C’est aussi pouvoir dire non, penser à soi, et être entendue. » Elle rappelle que le respect du corps et du consentement de la femme n’est pas une option mais un fondement essentiel de toute vie commune digne de ce nom.
Pour M’béna BA Badjoumbena BAKOLE, féministe radicale, lutter contre les violences faites aux femmes passe d’abord par un chemin personnel et collectif. Elle décrit un processus en cinq étapes, indispensable pour se libérer : prendre conscience de la situation d’inégalité, décider de s’en sortir, trouver des alliées de confiance, agir, puis se faire accompagner. Mais elle souligne que la dernière étape est souvent la plus difficile à franchir, faute de moyens ou à cause des pressions sociales. « On n’est pas responsable de la violence qu’on subit. Mais pour s’en libérer, il faut des espaces d’écoute, des groupes organisés, et des soutiens réels. » Pour elle, le changement ne peut advenir que si la société construit des lieux sûrs où les femmes peuvent parler sans être jugées, et être accompagnées tout au long du chemin.
Pour Mireille Tsheusi Robert, féministe et présidente de l’association Femiya, de nationalité congolaise et belge : le mariage ne peut être réduit à une simple relation entre un homme et une femme. C’est aussi une structure sociale et politique qui engage des responsabilités et pose des questions de justice. Lorsqu’une femme subit une violence dans son couple, elle ne la subit pas seule : elle porte aussi la souffrance collective de toutes les autres. « Ce n’est pas juste ton problème. C’est celui de toutes les femmes qui vivent les mêmes violences sans pouvoir en parler. » Par cette parole crue mais lucide, elle montre combien le foyer peut devenir un lieu d’oppression, et souligne l’urgence de politiser la parole des femmes. Elle souligne la nécessité de prendre la parole et de dénoncer ces violences même dans le cadre religieux. Pour Mireille, la parole des femmes dans les espaces religieux est encore trop souvent réduite au silence, surtout lorsqu’il s’agit de dénoncer des violences sexuelles. Pourtant, elle affirme que parler doit devenir un devoir autant qu’un droit. « Il ne s’agit pas de dénoncer pour détruire, mais pour éduquer, pour éviter que d’autres femmes soient victimes. »
Elle appelle les femmes à faire entendre leur voix, même dans les milieux les plus fermés : « Je suis convaincue que Dieu n’est pas contre la parole des femmes. » Pour elle, libérer la parole dans l’univers religieux est une première étape pour faire reculer l’impunité et faire émerger une culture de justice et de respect. << Quel Dieu veut que tu souffres ?? Quel Dieu veux qu’on te violente >> je suis sûr que Dieu n’est pas d’accord, et par respect pour Dieu nous devons parler.

Et parce que le féminisme n’est pas l’affaire des femmes seules, un homme aussi a tenu à faire entendre sa voix dans ce reportage. Il s’agit de Hombé B. KAFECHINA, juriste, facilitateur à l’académie du genre et de l’inclusion sociale (AGIS)
<< Aucune femme n’a l’obligation de se taire face à la souffrance dans le mariage>>. C’est avec ces mots qu’il a commencé son interview, pour lui les statistiques sont nombreuses et plusieurs ONG disposant des centres d’écoute ont publié des rapports avec des chiffres alarmants sur les violences en milieu conjugales. Pour qu’elle arrive à sortir de cette souffrance il y a différentes étapes à suivre à l’instar de la médiation familiale qui est très importante et doivent passé par là d’abord, elles ont aussi la médiation communautaire, le soutien de la société civile avec les ONG qui interviennent dans le domaine de lutte contre les violences conjugales, elles peuvent même allés jusqu’à porter plaintes même s’il s’agit de leurs maris. Il souligne qu’il y vraiment pas d’outils ou de formation à recommander pour que ces femmes arrivent à se détacher de cette souffrance, mais le premier pas à faire et qui est parfois difficile c’est l’estime de soi et le renforcement de la confiance en soi. Aujourd’hui je trouve que plusieurs églises font des efforts quant à la sensibilisation des femmes sur les violences conjugales, elles ont créé des groupes, des cellules de femmes pour s’écouter et donner la parole à ces femmes de pouvoir briser le silence.
Pour Hombé B. KAFECHINA, les femmes n’ont plus le droit de se taire. À ses yeux, elles ont déjà trop longtemps porté seules le poids du silence. Aujourd’hui, il salue leur courage et leur détermination, notamment dans les églises où elles s’organisent de plus en plus en groupes de parole, en cellules d’entraide, pour se soutenir, s’informer et se libérer ensemble. Une dynamique essentielle qui prouve que le changement est en marche, porté à la fois par des femmes debout.
Des ONG sur le front
Au Togo, plusieurs organisations sont en première ligne pour lutter contre les violences faites aux femmes, notamment le viol conjugal. Des structures telles que les One Stop Center, Care Togo, GF2D, SAFD, ATBEF, Vie De Femme, Women in Law and Development in Africa (WiLDAF), IYAWO et bien d’autres accompagnent les survivantes à travers des services juridiques, un soutien psychologique et des espaces d’écoute sécurisés. En cas de violences ou de viol conjugal, il est utile d’adopter certains réflexes : appeler le numéro vert 1014, gratuit et disponible 24h/24 ; se rendre auprès des forces de l’ordre, que ce soit la Police nationale ou la Gendarmerie ; saisir l’autorité judiciaire compétente, notamment le parquet du tribunal ou le juge des affaires familiales ; et enfin, contacter une ONG ou une association spécialisée pour bénéficier d’un accompagnement adapté.
Dans cette même dynamique, TOURE ZATO Chakiratou, militante féministe musulmane, combine foi et engagement pour les droits des femmes. Active au sein d’une organisation féminine musulmane, elle œuvre au quotidien pour accompagner ses sœurs et les aider à briser le silence. À travers ce reportage, elle a accepté de nous offrir sa voix, porteuse de courage et de dignité. << Le mariage en islam repose sur le respect mutuel et le consentement y compris le consentement à l’acte sexuel. >> Aujourd’hui la société patriarcale et l’éducation qu’on n’a reçu repose essentiellement sur les mauvaises interprétations des Hadiths, ce qui amène ces formes de violences faites sur les femmes et surtout dans le cadre conjugal. Dans le coran, c’est strictement interdit de porter atteinte à la femme mais avec ces fausses interprétations, les hommes essaient de manipuler ces femmes en leurs parlant de soumission, mais dans le coran il est dit qu’il faut juste se soumettre à Dieu pas à un homme, avec ces fausses interprétations ces femmes sous le joug de la religion et de leur foi préfèrent restées silencieuse et souffrir en silence. La religion musulmane défend strictement la souffrance silencieuse des femmes.
Pour aider ces femmes notre organisation féminine les inculque les vraies interprétations des hadiths pour les permettre de s’ouvrir et de briser le silence. Par la grâce de Dieu nous avons aujourd’hui de grandes personnalités qui nous accompagnent à travers les plaintes des femmes et surtout à traduire en justice tous ceux qui violent, maltraitent ou exercent des violences sur les femmes, notamment au sein du mariage.

Lors de notre micro-trottoir à Lomé : À la question « Que faites-vous si votre femme dit non ? », les réponses vont de l’incompréhension à l’écoute. Dans les rues du quartier, les avis divergent.
Un habitant, interrogé lors de notre micro-trottoir, partage son point de vue avec assurance. << Pour lui c’est l’homme qui est le chef de famille et dans le mariage c’est l’homme qui a autorité sur le corps de la femme, la femme n’a pas son mot à dire. Dans le cas où les deux partenaires travaillent et sont tous les temps fatigués, ils doivent faire un programme de la semaine pour permettre à chacun de pouvoir se libérer au moment voulu. Il continue en disant qu’il peut avoir des cas où la femme est extrêmement fatiguée dans ce cas-là femme doit faire son nécessaire pour satisfaire son homme. Pour lui le mot Viol ne doit pas exister dans un mariage, cela peut être possible dans le concubinage mais quand vous êtes mariés il doit avoir de la compréhension entre vous pour faire face à ce problème. >>
Maman grâce, commerçante nous confie son ressenti avec beaucoup de sincérité
Maman grâce dit qu’il faut juste de la compréhension entre les deux partenaires surtout dans le mariage, pour elle, du moment que tu es marié c’est difficile pour les femmes de dire non à leurs maris car l’éducation qu’elle ont reçu ce n’est pas ça, mais quand il y a l’amour, il doit avoir une compréhension sur cet aspect, elle souligne que certains hommes essaient de faire l’effort de comprendre mais il y a certains qui refuse catégoriquement de comprendre et vont même à traiter leur femme d’infidèle juste parce qu’elle ne se sentent pas capable de satisfaire leur mari parce qu’elles sont fatigués ou d’autres facteurs, et ça ne n’est pas bien, beaucoup de femmes aujourd’hui quittent le foyer à cause de ces comportements, et si il y a pas d’amour il y aura pas non plus d’harmonie dans le couple.
Madame marie a tenu à exprimer également son point de vue en disant qu’il est important que le mari puisse comprendre que la femme est fatiguée ou est dans l’incapacité de le satisfaire et elle souligne également que ce manque d’envie ou de fatigue des femmes ne doit pas être répétitives, car le Mari ne peut pas tout le temps comprendre et qu’il sera tenté d’aller voir ailleurs.
Parmi les femmes interrogées, une musulmane partage son regard, façonné par sa foi ; Pour elle, la compréhension et la confiance doivent être les piliers d’un foyer. <<Aujourd’hui, c’est moi qui suis dans l’incapacité de te satisfaire, demain c’est peut-être toi donc il faut la compréhension mutuelle>>. Ces réponses montrent l’urgence de sensibiliser…mais aussi l’existence de voix masculines conscientes.
Des pays en avance sur la question du viol conjugal
L’Afrique du Sud se positionne en pionnière en criminalisant explicitement le viol conjugal dès 1993, dans le cadre d’une réforme majeure de son droit pénal post-apartheid. La South African Law Reform Commission affirme alors clairement que le mariage ne confère aucune immunité face aux poursuites pour viol. Cette avancée est renforcée par la Sexual Offences Act de 2007, qui étend la définition du viol à tout acte sexuel non consenti, y compris au sein du mariage. La législation sud-africaine, l’une des plus progressistes du continent, repose sur le principe fondamental du consentement explicite et renouvelé. Elle inspire plusieurs pays d’Afrique australe tout en soulignant la nécessité d’une formation accrue des forces de l’ordre, des magistrats et des leaders religieux sur ces réalités.
Le Rwanda s’inscrit également dans cette dynamique. Depuis la loi n°59/2008 sur la prévention et la répression des violences basées sur le genre, le viol conjugal y est reconnu comme une forme de violence sexuelle punissable. L’article 14 précise que tout acte sexuel sans consentement, même dans le cadre du mariage, engage la responsabilité pénale. Le Rwanda est ainsi devenu un modèle régional en matière de défense des droits des femmes, notamment dans la région des Grands Lacs.
En Europe, plusieurs pays ont franchi des étapes à encourager dans la reconnaissance et la répression du viol conjugal, en mettant l’accent sur le respect du consentement. La Suède, par exemple, adopte dès 2018 une loi innovante fondée sur le principe du « consentement explicite » : tout acte sexuel sans accord clair est considéré comme un viol, quel que soit le lien entre les personnes, y compris au sein du mariage. En Suède, l’absence de refus explicite ne vaut pas consentement, plaçant ainsi la liberté et l’autonomie des femmes au cœur de la législation. L’Espagne, suite à une forte mobilisation féministe, réforme en 2022 son Code pénal en supprimant la nécessité de prouver la violence ou la contrainte physique : tout acte sexuel non consenti est désormais reconnu comme un viol, y compris au sein du mariage. L’Allemagne a, quant à elle, modifié sa législation en 2016 pour instaurer la règle du « Non, c’est non », où un refus verbal suffit à établir l’absence de consentement, y compris dans le cadre conjugal, rompant avec l’exigence antérieure de résistance physique. Enfin, la Belgique reconnaît le viol conjugal comme infraction dès 1989, et en 2022, elle réforme son Code pénal sexuel pour fonder la définition du viol sur un consentement libre, explicite et renouvelé, tout en facilitant la prise en charge des victimes. Ces exemples témoignent d’une tendance européenne claire : la reconnaissance juridique du viol repose désormais sur le consentement éclairé, une évolution qui peut inspirer les législations et les pratiques dans d’autres régions où le viol conjugal demeure un tabou ou une infraction peu sanctionnée.
Le viol conjugal n’est pas une « affaire privée »
« La parole de Dieu est amour, justice et dignité. Elle n’impose ni douleur ni contrainte. Demander le consentement n’est pas un péché, c’est le socle du respect humain. » Il est urgent d’éduquer les enfants aux principes d’égalité, d’équité et d’inclusion, de renforcer la formation des responsables religieux sur ces notions essentielles, de faire évoluer nos législations, et de construire des relations conjugales basées sur le respect mutuel et l’égalité. Car croire en Dieu, c’est aussi croire en la liberté de l’autre.
Cet article a été produit par Africa Women’s Journalism Project (AWJP)