Hip-Hop Togolais : les erreurs qui se répètent !
Interview Exclusif avec un Pionnier du Hip Hop Togolais Part 1
Dans cette première partie, Horus Donkovi nous plonge dans ses débuts dans le rap, une époque où la passion et l’art prenaient le pas sur les gains financiers. Un regard fascinant sur le hip-hop togolais d’hier et d’aujourd’hui, par une figure incontournable de la culture urbaine du pays.

1. Elisabeth APAMPA: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Horus : Je n’ai jamais été très à l’aise avec cet exercice … Salut tout le monde,
Je suis Horus Donkovi, artiste et homme de média. Je me suis intéressé à plusieurs domaines, notamment au rap, au slam, a la poésie, au cinéma. J’ai aussi produit et animé pour la télévision, la radio, et écrit pour la presse. Je suis aussi enseignant, et analyste politique pour plusieurs médias internationaux.
Entre autres. L’Afrique exige que l’on soit un véritable couteau suisse.
2. Quel a été le moment décisif où vous avez su que vous vouliez faire carrière dans la musique ?
Horus: Il est difficile pour moi de définir un moment spécifique. Les choses se sont faites d’elles-mêmes. A l’époque nous étions loin de penser que nous pourrions faire de l’argent dans la musique. Nous avions juste la fierté d’apparaitre, d’être adulés, de représenter un quartier, une ville, d’être adoubés pour la qualité de ce que nous faisions.
Et je pense que cet état d’esprit nous a sauvés.
En effet, la culture est un secteur qui nourrit difficilement son homme. Nous n’avons donc par compter sur elle pour nous nourrir, par contre la passion nous a permis de créer régulièrement des œuvres , de parfaire des compétences . Les quelques fruits que la musique a rapporté financièrement, on les a savouré avec plaisir. Sans plus.
Cela a été vrai pour tous les membres de mon groupe de rap BALLES 2 RIMES.
3. Comment avez-vous découvert le hip hop et qu’est-ce qui vous a attiré vers ce genre musical ?
Je découvre le hiphop dans les années 80, la première chose qui m’a poussé à la curiosité ce fut la danse. Certains groupes la médiatisaient déjà, comme par exemple BENNY B de Belgique. Et le graffiti était déjà à la mode, il couvrait certaines parties des rames de métros. Le terme à la mode était ‘’funk’’ , ‘’ funky’’.
Un de mes cousins, plus âgé, écoutait déjà du rap pur et dur, mais pour le jeune garçon que j’étais des groupes comme BENNY B me semblait plus digeste.
On passait ‘’ ROCK IT ‘’ de HERBIE HANCOCK, GRANDMASTER FLASH et SUGARHILL GANG. C’était ‘’la musique des USA qui accompagnait le break dance’’. Dans les films même, c’était la musique qui après la mode ‘’disco’’ accompagnait les acteurs afro-américains.
Ensuite dans les années 90, une grosse vague de tubes que nous pensions aussi américains a secoué les ondes. On disait encore ‘’funk’’ (on dit désormais ‘’Eurodance’’). C’étaient SNAP, TECHNOTRONIC, par exemple.
Puis , retour aux ricains , KRIS KROSS , MC HAMMER , … ça danse partout. Le premier tube qui m’accroche c’est ‘’ i need love ‘’ de LL COOL J, et celui qui nous démontre que le rap en langue française peut être aussi accrocheur et respectable, ce sera Mc SOLAAR.
A partir de là, tout s’emballe, on est curieux, on fouille, on recherche, on découvre des groupes, d’autres approches, on s’enrichit, et on amorce ses premiers pas.
4. Quelles ont été vos premières influences musicales et comment ont-elles façonné votre style ?
Mes influences sont très diversifiées, je suis très éclectique.
J’ai grandi dans des sonorités trés Blues, Rock, et Reggae par mon père, et très disco, variétés françaises et africaines par ma mère. Par conséquent, encore aujourd’hui, j’ai du DIRE STRAITS, du ROD STEWARD, mais aussi du BRASSENS, du BREL, qui côtoient mon MBILIA BEL et mon REINE PELAGIE.
Une chaine radio, AFRICA N1 diffusait énormément de diversités musicales africaines ; elle m’a donné l’amour du High life, de la musique mandingue, camerounaise, congolaise, et même sud-africaine.
Cette anecdote est très importante. En effet, l’Afrique du sud était en période d’apartheid, et de nombreux états africains étaient en crise économique. C’était aussi le renouveau démocratique. Et donc, les sons que nous écoutions étaient très souvent des morceaux militants.
Cela a contribué, à mon sens, à faire émerger tout une série d’artistes notamment dans le rap, qui seront résolument ‘’engagés’’. C’était une suite normale, les messages d’émancipation et de liberté, de démocratie, sont des messages qui nous ont bercé.
Outre cela, j’ai été très jeune impressionné par les artistes africains qui avaient la capacité de faire du storytelling sur de la musicalité de chez nous, et ces artistes ont beaucoup influencé mon rapport a l’écriture . Ce sont Pierre Claver AKENDENGUE, que j’écoute toujours et que je présente même en ateliers, mais aussi Francis BEBEY, ZAO, par exemple.
J’ai écris du rap, très souvent, en écoutant ces hommes qui n’en faisaient pas.
5. Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans le hip hop togolais ?
Je m’essaie au hiphop à partir de 1995, avec un de mes potes. Puis, j’intègre un premier groupe ou j’acquiers des bases solides : APOTHEOZ.
A cette époque, ce n’est pas très bien vu de faire du Rap .Il était particulièrement compliqué de se fournir en morceaux de rap Fr. Ce qui était en vogue c’étaient les gros tubes de rap US.
Chaque quartier à Lomé avait ses groupes et nous étions tous plus ou moins en concurrence. Au fil des rencontres, des freestyles , des amitiés solides se sont crées , et des groupes très souvent ont fédérés , ou sont devenus ‘’frères’’.
BALLES 2 RIMES qui va regrouper au début plusieurs groupes et des individualités, a par exemple pour groupes ‘’frères’’ : SIH , 5eme BAZ, ou SOUTH COAST , et bien d’autres.
Jusqu’aux années 2000, il était très difficile d’enregistrer. Les studios pour les jeunes que nous étions, étaient coûteux. Les techniciens étaient chiches, et s’y connaissaient peu en hip hop .
Notre premier titre ‘’ DANS LES BACS’’, on l’enregistre dans un home studio de fortune, monté par le groupe AHOVIO (groupe de KARNY) qui avait débauché un jeune beat maker de Belgique pour les vacances. Avant cela, nous avions essayé d’enregistrer en boite de nuit, sans grand succès.
A partir des premiers concerts réussis de TOTO TCHALLA , la mode du HIP HOP à laquelle vous assistez actuellement fut lancée. Il s’en suivit une compilation de morceaux de rap, la première et la seule officiellement lancée a ma connaissance, encore aujourd’hui : ENTRE DEUX MONDES de HOPE ROW RECORD (ndlr : la structure de TOTO TCHALLA) . De cette année 2002 , à nos jours , l’attrait pour le Hip HOP ne baissa plus au niveau national.
Mon premier morceau solo, enregistré par une structure, se nomme ‘’ PUT YOUR HANDZ UP’’. Je le pose pour une compilation de MISTER B : PARCOURS DE STARS (si je me souviens bien du nom). Nous sommes en 2003.
L’année qui suit, donc en 2004, je sors le single qui annonce la sortie prochaine de mon album : MA CHRONIQUE. Si ce morceau recevra une bonne critique et sera largement diffusé ,malheureusement pour moi, cet album se perdra.
‘’Le disque dur a grillé ‘’ c’est la seule explication que m’aura donné le technicien de l’époque.
6. Quels défis avez-vous rencontrés en tant que pionnier du hip hop au Togo ?
Ils sont nombreux.
Le premier, je pense, fut les préjugés sur le rap et les rappeurs. Pour les gens, nous étions rien d’autres que des bandits. Quand je vois la facilité avec laquelle de nos jours des jeunes brandissent leurs étiquettes de rappeurs, je souris. A mon époque, plusieurs se sont retrouvés dans la rue, chassés par leurs parents pour cette histoire de rap.
Le deuxième, se fut l’ignorance des studios et des medias. Beaucoup en savaient peu sur le rap. Nous n’avions pas de beatmakers compétents, nous n’avions pas de DJ’s compétents, nous n’avions pas d’animateurs compétents, et nous n’avions pas d’écoute. Nous n’avions pas d’événements qui nous mettent en exergue. Nous étions très souvent sous-estimés.
Le troisième, se fut nos propres ignorances. Nous étions énormément dans la passion. Par conséquent, il s’agissait beaucoup de représenter un nom, un quartier , une capitale , un pays même . Nous ne connaissions pas grand-chose au business et donc, nous n’avions aucune idée sur ce que nous pouvions générer comme revenus, ou comment nous devions construire une carrière. Lomé a eu énormément de rappeurs a une époque. Il n’y a aucune trace de la plupart. Conséquence, lorsque l’argent a commencé à jaillir, les frictions se sont multipliées, ainsi que les escroqueries. Encore aujourd’hui, j’estime que le milieu est toujours aussi désorganisé qu’il l’était à l’époque. Nous n’avons pas appris.
7. Comment décririez vous l’évolution du hip hop togolais depuis vos débuts ?
Il a eu une belle évolution.
C’est sur que je ne me retrouve pas avec les techniques qui sont à la mode.
Cependant le hip hop a révolutionné la musique togolaise. Avant le gros boum des années 2000, la musique togolaise était en berne.
C’est le hip hop qui fait proliférer les home studios. C’est lui qui boostera les clips. Il va nourrir le cinéma. Il va nourrir les concerts. Et plusieurs artistes de variétés à succès sont des transfuges du HIP HOP. C’est le HIP HOP qui va booster la mode, grâce au street wear.
La musique, la culture togolaise en général, doit beaucoup à cette génération rap .
Et donc c’est une belle évolution, mais une évolution viciée, parce qu’elle se vautre dans le vice. De nos jours, il y a une plus grande noblesse à porter le titre de slameur, dans l’inconscient collectif, que de rappeur , parce que le rap togolais s’est fourvoyé , et qu’il y a un bon moment qu’il n’a plus de voix. Il ne dit plus rien de pertinent. Et donc comme il manque de particularité, il s’exporte peu. Il évolue en vase clos, à l’intérieur de nos frontières, et cela ne va pas plus loin que ça.
8. Quelles sont les différences majeures entre le hip hop togolais et celui des autres pays africains ?
La créativité et la productivité, l’organisation du marché de la musique, et le rapport aux anciens.
Nous ne sommes pas productifs. Et le peu que nous produisons manque de diversité. Le HIP HOP a 50 ans, ses pères ont entre 60 et 70 ans. Il y a du HIP HOP pour chaque classe d’âge. Le peu produit, l’est pour une unique classe d’âge.
Le marché n’est toujours pas organisé. Il ne s’agit toujours pas de générer des sous , mais de racketter des sponsors plus ou moins généreux. 20 ans plus tard, un concert de hip hop débute toujours après 2, 3 heures de retard.
Pas de professionnalisme.
Le rapport aux anciens, ici, est un problème sociétal, selon moi. Il existe dans tous les secteurs. Les nouvelles générations sont confortées dans l’idée qu’elles ne peuvent réussir que sur le ‘’cadavre’’ et le déni des anciennes.
Le Sénégal a toujours DAARA J , AWADY et PEE FROISS, le Gabon a toujours MOVAIZ’HALEIN et BAPONGA , la côte d’ivoire a toujours GARBA 50 et RAS. Ici, il y a frictions et controverses, et on tripatouille énormément l’histoire, parce qu’on archive quasiment pas. Que cela soit la génération ancienne ou nouvelle, il y a un gros manque d’humilité. Tout le monde veut traficoter. On a donc beaucoup de mal a construire quelque chose solidement viable. Horus
9. Quels sont les artistes togolais qui vous parlent artistiquement actuellement ?
Très sincèrement, je n’écoute que très peu le rap togolais. Je me reconnais tellement peu dans ce qui se fait actuellement qu’il me serait difficile de vous citer un nom. Les derniers rappeurs dont j’ai objectivement apprécié les travaux étaient BESTYAL , ELOM 20CE, MILLY PARKEUR, JACKY JACK, PRINCE MO…
J’aime la technique et la voix de KIKO, MIC FLAMMEZ , PIKALUZ , PEEWI, et un nouveau PAKI CHENZU, juste que (et cela est du a mes propres sensibilités idéologiques) , je les aurai souhaité sur d’autres types de thèmes.
Je remarque qu’il existe de nombreux talents bruts dotés de bons flows et d’une belle marge de progression. Cependant, je pense qu’ils nuisent à leur potentiel. Ceux avec qui j’ai pu échanger sont souvent convaincus qu’il leur faut parfois se travestir pour avoir une chance de percer, surtout dans le mainstream. Bien que je respecte leurs choix, je n’ai jamais partagé cette opinion. La preuve en est qu’en 20 ans, le Togo n’a pas réussi à exporter de pointure du rap vers le mainstream.
Musicalement, hors HIP HOP, je dirai NOIRE VELOURS, j’aime sa recherche. J’aimais beaucoup les scènes de KEZITA qui sont très fortes en émotion. J’aime aussi ARKA’AN, un groupe de rock togolais d’inspiration traditionnelle, qui ose beaucoup dans ses créations. IZEALEDU qui a une voix incroyable et joliment typée. SABINE KOULI, qui dans son tour du monde, m’a permis de toucher à d’autres sonorités. J’observe PETER SOLO, son rapport a la musique traditionnelle et à l’afrobeat est intéressant, je trouve.
Il y a cet instrumentiste dans le jazz ; nous l’appelons souvent KOFFI SAXO (Kossi Assimadi). Immense talent. J’ai eu la chance de le voir à l’harmonica et aux cuivres. Du blues. De la magie.
Dodji EFOUI, qui crée ses propres instruments.
On est artiste, avant d’être rappeur. Il faut être curieux de tout et apprendre de tout.
10. Comment le hip hop a-t-il influencé votre vie personnelle et professionnelle ?
Je pense que je dois être le seul rappeur invité sur du plateau politique de façon régulière pendant 8 ans. Avant cela, j’ai fait de l’histoire africaine, à la télévision, a une heure de grande écoute, pendant 4 ans. Mes premières interventions radios datent de 1999, et je présentais les différentes particularités des peuples du monde.
Je dois cela au fait d’avoir appartenu à une école de rap ou régnaient le Freestyle improvisé, et les textes engagés. Nous étions jeunes, et nous voulions à l’époque acquérir le même niveau de plume, le même niveau de critique et de concision dans nos écrits, que ce que nous écoutions. Cela nous a servi.
Je m’en sers aujourd’hui pour mes débats, pour mes cours, pour mes corrections.
11. En tant qu’enseignant, comment intégrez vous la culture hip hop dans votre pédagogie ?
Je me sers beaucoup de ma capacité au Freestyle ‘’improvisé’’, pour fixer l’attention de mes classes. Il s’agit d’un public, et il faut pouvoir capter l’attention de ce public sans qu’il ne ‘’décroche’’. A partir de là, il est facile de pouvoir inculquer des connaissances.
12. Que pensez-vous de l’importance de l’éducation dans le développement de la culture hip hop ?
À mes yeux, le hip-hop a besoin de textes réfléchis, même lorsqu’on vise des morceaux destinés au mainstream. Il est inacceptable de chanter le vice, de le proposer aux jeunes, et de croire qu’on n’a aucune responsabilité dans les dépravations actuelles. Puis, avec une certaine audace, hypocrisie et déni, venir s’en offusquer.
Pour moi, un artiste, notamment HIP HOP, se doit de faire une analyse de la société, et d’archiver son point de vue, grâce a l’élaboration d’une œuvre.
POSITIVE BLACK SOUL, dans les années 90, chantait ‘’ATAYA’’ , cela n’avait rien de vulgaire mais ce fut un tube. Il y a énormément d’exemples.
Ce qu’on ne dit pas souvent, ce qui est peu médiatisé, c’est que beaucoup de rappeurs sont cultivés .TUPAC était cultivé. La plume de The Notorious B.I.G est étudiée. Mc SOLAAR est étudié. OXMO PUCCINO est étudié. GAEL FAYE sort un film salué par la critique. KERY JAMES sort une pièce de théâtre et un film.
Il existe un rap riche, novateur, intellectuel, éducatif, constructif, que l’industrie s’efforce de dissimuler aux plus jeunes. L’ironie de l’histoire veut que les rappeurs africains qui s’inscrivent dans celui-ci soient ceux qui fassent réellement carrière. Ils sont respectés et représentent valablement l’Afrique sur les scènes du monde. Par exemple, SMARTY, AWADI, BALOJI, BLITZ the ambassador, SAMPA the great,
Et c’est quelque chose que les nôtres malheureusement ne comprennent pas !
13. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant que slameur et poète ?
La poesie, ce fut mon premier coup de cœur
J’ai débuté par la poésie. Et donc ma transition vers le rap a été facile.
Jeune adolescent, je dealais mes poèmes et mes graphes. Je suis dans les années 1994.
Lorsque la mode du SLAM a déboulé, j’avoue avoir été perplexe.
J’entends parler du SLAM, la première fois, par un film du même nom ; ‘’SLAM’’ avec SAUL WILLIAMS (1998). J’avoue ne pas avoir été très impressionné.
Puis, j’ai entendu parler du ‘’ concept inventé par ’’ MARC SMITH plus tard. J’ai tiqué.
Mon souci était que, pour moi, ce qu’on appelle ‘’ SLAM’’ existait déjà, et donc je le pratiquais déjà. Pour moi, AKENDENGUE et BEBEY étaient des slameurs avant l’heure, BREL et BRASSENS étaient des slameurs avant l’heure. Et donc j’avoue n’avoir pas compris les enthousiastes du début, et les débats sur ‘’les premiers initiateurs de ‘’.
Cependant, ce fut avec plaisir que je fis mes premières scènes, car c’est vrai, la poésie était très élitiste avant, et le slam lui a permis d’acquérir une assise plus populaire.
Et donc j’ai toujours écrit, et je continue toujours de le faire. Je ne pense pas arrêter tant que le créateur me fait grâce de la santé.
14. Comment conciliez vous vos différentes casquettes d’artiste, journaliste et enseignant ?
Les différentes casquettes se complètent.
L’artiste a aidé l’enseignant, l’enseignant a enrichi le journaliste, et le journaliste a décomplexé l’artiste.
15. Quel rôle le journalisme joue-t-il dans la promotion de la culture hip hop au Togo ?
Pas grand-chose
Pour deux raisons précises : les organisations au sein des médias , et le peu de culture des acteurs s’occupant de hip hop et de musique.
Le fait que les medias rémunèrent peu ou pas leurs employés, notamment leurs animateurs et leurs techniciens, a conforté ceux-ci dans le racket des artistes. On s’est retrouvé avec des artistes copieusement médiatisés qui n’avaient pas la capacité de pouvoir nous représenter hors du territoire national. Certains même ne tiennent pas une scène, ou sont totalement ‘’fabriqués’’ dans un home studio.
Ensuite, il y a beaucoup d’amalgames ; ‘’ ce n’est pas parce que tu connais BOB MARLEY, que tu deviens expert en reggae’’. Le gros malheur du Hip HOP c’est aussi d’avoir eu des acteurs sur les médias qui n’y connaissaient pas grand-chose. Et cela était une question taboue. Beaucoup se paraient d’étiquettes qui n’étaient pas les leurs.
Comme je te disais plus haut, j’ai débuté la radio en 1999, et la télé en 2011. Entre les deux, j’ai fait de la presse écrite, donc crois moi, j’ai eu l’occasion d’apprécier les dessous de nos médias.
16. Quelles sont les histoires ou les moments marquants de votre carrière que vous aimeriez partager ?
Il y en a beaucoup. Difficile de choisir.
Peut être une histoire folle. On avait une prise de voix au Studio MIXBOX de Jean Luc FIADONOU, à BE KPOTA, mais nous étions fauchés comme pas possible. Nous avons donc marché, tard la nuit, de ce quartier à ADIDOGOME, en passant par AGBALEPEDO et TOTSI.
Il y a un morceau de FEFE (Ex SSC) ‘’ AUSSI FORT ‘’ , quand je l’écoute, je repense vraiment à mon groupe. On a fonctionné à la foi et à la fraternité.
17. Comment voyez vous l’avenir du hip hop au Togo ?
Il disparaitra s’il continue à perdre en authenticité et s’il ne murit pas.
De nos jours, lorsqu’un événement médiatique d’envergure concernant le Hip HOP se tient dans le monde, les participants sont adultes, murs. Pour certains, les gens y vont en famille. Au Togo, le rap est resté ‘’ la musique de l’adolescence’’, une musique qui ne véhicule pas grand-chose, et qui est très peu diversifiée ( il existe plusieurs types de rap). Et c’est un constat triste
18. Quels conseils donneriez vous aux jeunes qui veulent se lancer dans le hip hop ou le slam ?
Ils doivent se cultiver. C’est une question importante. De nos jours, de nombreux artistes deviennent des leaders d’opinion. Les hommes politiques ne s’y trompent pas en les utilisant pour leurs campagnes, les entreprises n’ont plus.
Et donc, pour moi, un artiste au delà de la créativité, doit avoir un regard critique sur son environnement.
Il faut s’avoir s’entourer. Il faut une équipe de gens qui croient en eux et qui savent mettre en valeur le talent. Cette équipe doit pouvoir élaborer une stratégie qui tienne compte de la personnalité de l’artiste, de son public cible, et des exigences du milieu.
19. Comment la scène hip hop togolaise peut-elle attirer plus d’attention internationale ?
En se détachant de nombreux clichés.
Le Hip Hop a fêté ses 50 ans, il n’y a pas longtemps. Cela sous entend que ses précurseurs ont 70 ans environ. Par exemple, les LAST POETS, DJ KOOL HERC, AFRIKA BAMBATAA, et il y a plus vieux qu’eux.
Le hip hop togolais doit être compétent ; lyrics et flow, et doit se faire remarquer par des productions originales. On doit sentir de la recherche.
Je donne un exemple, ‘’ LA FEMME’’ de PAMOBAR STARS ft. AAMRON, qui reprend le griot de Pagouda, pour moi, c’était ça. C’était un filon a creusé et a enrichir. C’était de la ‘’Togolese touch’’. Pour moi, qui suis rappeur, cet instrumental est un chef d’œuvre. Et les types dessus, ils ont assuré. J’ai écouté, j’ai dit ‘’yes ! ‘’
Il faut plus de scènes live, on a quasi pas de scènes. C’est un gros problème, parce que gérer un public, s’acquiert à force de pratique.
Nos artistes ne sont pas habitués à conquérir un public, on leur fournit un public acquis pour une prestation en playback. Ce n’est donc pas a proprement parlé des concerts, c’est tout juste de l’exhibition.
Cette pratique a pour conséquence que nos artistes ne peuvent pas être respectés à l’extérieur. Ils manquent de codes, d’attitudes et d’habitudes.
Croyez moi, en rap, en même plus largement en musique, cela ne passe pas. On finit discréditer
20. Quelle est l’importance de la langue et des dialectes locaux dans vos compositions ?
Les dialectes m’ont permis de toucher un plus large public local.
Le premier morceau, ou je mets une langue locale est ‘’ MA CHRONIQUE ‘’. Le refrain est interprété par VANESSA WOROU.
Cependant, je dois l’avouer, la plupart de mes compositions sont en français, pour la simple raison, que le français est ma première langue du fait d’être né en France.
21. Pouvez-vous nous parler d’une de vos œuvres ou performances dont vous êtes particulièrement fier ?
Je suis toujours content lorsqu’une de mes œuvres sort, puis, il arrive un moment ou j’estime qu’elle ne représente plus mon état d’esprit du moment.
La dernière œuvre qui m’a porté, ce fut ‘’EXODUS’’ que j’enregistre chez Boris de CONSCIENCE RECORD, et qui sera adapté au cinéma. En effet, j-en écris le film et le scenario, sous la commande de ATOMIK CORPORATION, qui le réalise, et ce premier coup d’essai sera primé (2ème prix national 2020).
EXODUS faisait partie d’un trilogie, avec deux autres de mes titres : LOME BIZZY et TRAMADOL. C’est du storytelling racontant la vie d’un jeune togolais en difficulté.
Dans LOME BIZZY, ce jeune homme trempe dans des affaires louches, dans TRAMADOL, il a un mauvais cheminement de vie, dans EXODUS, il décide de quitter le pays.
Il y aussi au ‘’AU PAYS DE LA BANANE’’, que j’ai enregistré chez KEN de HUSTLER FABRIK …
Si je dois citer une scène, je dirai une scène improvisée au Ghana, sur le CHALE WOTE 2017. Il s’agissait d’une scène libre de rap, avec un Dj, devant un public anglophone composé de personnes d’origines diverses. On avait juste droit à deux titres. Ou tu assumes et tu déchires, ou tu te rates. C’était cash.
Cela s’est super bien passé, ceux qui m’accompagnaient étaient fiers. Et moi, j’ai gagné ce superbe souvenir.
Y a aussi, la première scène de BALLES2RIMES au CENTRE CULTUREL FRANCAIS en 2002. La salle était pleine, tout le monde connaissait le refrain. C’était fou !
22. Comment le hip hop est un outil de changement social au Togo ?
Le hip hop est déjà un outil de changement social, sauf que c’est une place qui ne lui est pas reconnu. Le hip hop a influencé tous les secteurs de la société. Ce serait long de tout citer. J’essaie de le faire un peu dans une question précédente.
Par contre, le hip hop togolais au lieu d’évoluer, se fourvoie, il s’est peu bonifier, il s’est cramponné à n’être qu’une musique d’adolescent, alors même qu’en raison de son âge (ndlr : l’âge du HIP HOP, mondialement parlant) , il est impossible que les hommes d’état de ce pays n’aient bougé la tète en écoutant du rap. KRS ONE, IAM, et SOLAAR, sont de la même génération que notre chef d’état, et ils ne sont pas la première génération de rappeurs. Nos hommes d’état et nos cadres ont tous bougé la tète sur NAUGHTY BY NATURE, INI KAMOZE, ou ICE MC.
Malheureusement, le rap togolais n’a pas muri. On n’a pas compris qu’il y a ‘’des raps’’ et que chacun a son auditoire. Lorsqu’ailleurs des adultes célèbrent son cinquantenaire avec fierté, ici il reste ‘’la musique qu’on écoute plus à partir d’un certain âge’’.
Le hip hop togolais a fait des ‘’petits’’, ce sont eux qui désormais influencent la société, portent du message, sensibilisent la jeunesse, portent les revendications, représentent le pays a l’extérieur. Quand je dis cela, je pense au SLAM, à la poésie, aux livres, à la danse, à l’art plastique, à la mode
Le Hip hop a inspiré plusieurs générations, puis quand il s’est infantilisé, les artistes se sont reconvertis ailleurs pour ne pas souffrir des clichés qu’il conserve.
23. Quel est le rôle de la technologie et des médias sociaux dans la diffusion du hip hop aujourd’hui ?
Essentiel. Je pense qu’on ne peut quasi rien faire de nos jours sans cela.
Les médias sociaux ont démocratisés la diffusion des œuvres.
La technologie a permis la réduction des coûts de production des œuvres.
Cela a fait naitre des vocations et les a conforter. Maintenant il est facile de créer un morceau dans sa chambre , de le faire clipper par quelqu’un d’autre , de le diffuser sans aucune contrainte, d’avoir du succès , de le faire financer et de gagner de l’argent via des plateformes, d’interagir avec ses fans et de faire des collaborations a distance aisément.
Il y a tellement de choses.
Tout cela n’était pas possible à mon époque. Je rappais à une époque ou le téléphone était un luxe, les ordinateurs rares, et ou enregistrer en studio était hors de prix.
24. Quels sont les livres ou les ressources qui vous ont influencé dans votre parcours artistique ?
Ouh la ! Il y en a beaucoup. Je lis de tout. Il y a des auteurs dont j’ai terminé les bibliographies. Petit, je dévorais tout. Notre salon était en fait une bibliothèque et j’avais donc des livres partout.
Cela me sert encore aujourd’hui dans mes ateliers, mes cours, et mes débats politiques à la télevision.
Je pense que tous les livres ont eu une influence. Je pense qu’enfant, il y a trois livres qui me marquent : ‘’les voyages de Gulliver’’ de JOHNATTAN SWIFT, ‘’le Petit Prince’’ de ST EXUPERY que m’offre mon père quand j’ai 10 ans, et ‘’la Bible’’, qui dans sa partie ‘’ancien testament’’ a des récits qui s’apparentent à du conte. Je commence à la lire après avoir épuisé la collection ‘’le masque’’ de la famille.
Ensuite adolescent, je dirai les œuvres de AMADOU KOUROUMA, que je trouvais anti conforme dans la plume, à l’époque j’étais repu d’œuvres africaines très descriptives de la période coloniale, et donc j’accroche particulièrement sur ‘’ALLAH N’EST PAS OBLIGE’’ et ‘’ EN ATTENDANT LE VOTE DES BETES SAUVAGES’’. Encore aujourd’hui, il m’arrive de regretter d’avoir raté le passage de l’écrivain au CENTRE CULTUREL FRANÇAIS.
Puis, au fil du temps cela se corse un peu plus, je vais lire ZIEGLER, HAMPATE BA, CHEIKH ANTA, mais pas seulement, je reste curieux de tout, …. Je suis et je reste perpétuellement dans la recherche, encore aujourd’hui.
Honnêtement, je n’ai pas d’ouvrages à recommander, il faut lire en suivant les saveurs, être curieux de celles-ci, et elles guideront le lecteur vers ses propres libertés.
Faut lire.
25. En rétrospective, quel conseil auriez vous aimé recevoir à vos débuts et que vous aimeriez transmettre aujourd’hui ?
Question difficile.
Je dirai peut être, produire plus, procrastiner moins, être perfectionniste mais avec mesure.
Si je souhaite transmettre quelque chose aux plus jeunes, ce serait que ‘’ DEMAIN N’EST PROMIS A PERSONNE’’. Et donc, il faut que chaque jour, ils s’efforcent de faire de leur mieux.
Ils rateront des choses, ils feront des erreurs, certaines pourront être réparées, d’autres non. Qu’ils s’excusent pour celles qu’ils ont commises et en tirent les leçons, et qu’ils s’engagent à faire mieux demain, que ce qu’ils avaient fait hier.
Qu’ils prennent conscience que leurs œuvres leur survivront. Il faut qu’ils puissent en être fiers, et que celles-ci inspirent positivement. Parce que tout ce qui reste quand nous redevenons poussière, ce sont nos œuvres. Elles sont les témoignages de notre rapport à la vie. Ce sont elles qui nous rendent immortelles
26. Les femmes dans le showbiz, qu’est ce qui leur manque surtout au Togo
La paix.
Il y a beaucoup d’harcèlement et d’abus dans notre milieu. Et beaucoup de clichés nauséabonds. Cela brise des compétences et nous maintient dans le fond.
Je vais faire un peu de déformation professionnelle, mais il faut que les gens comprennent que nos femmes, dès l’école, dès les maternelles sont particulièrement dynamiques, elles sont généralement dans les meilleures élèves, les concours y compris. Par conséquent, lorsque nous entravons leurs carrières, que nous les brisons ou que nous les décourageons, nous nous sabotons nous-mêmes.
Nous avons beaucoup d’artistes féminines qui ont du interrompre leurs carrières parce qu’on ne leur offrait pas plus que devenir des jouets.
27. Qu’est ce nos médias ne font pas et devraient faire?
S’informer, se diversifier, se cultiver, et faire preuve d’intégrité.
On ne peut pas être un media sérieux, parler de culture, prétendre a une influence positive sur les populations , et passer H24 le même type de musique, parfois même pas de musique togolaise .
On ne peut pas être un media sérieux, et ne pas s’informer sur les diverses activités culturelles du pays. Cinéma ? Tu ne les vois jamais. Théâtre ? On ne les voit pas. Arts plastiques, Danses, … ils ne sont nulle part. Pour avoir de la présence, il faut soudoyer. Et même quand cela est fait, il n y a pas de bonne foi, par ce qu’il n’y a pas d’expertise ; un journaliste qui ne connait rien en arts plastiques ne saura pas quoi saisir de l’instant, par exemple.
En ce qui concerne la culture, les médias ne font pas leur travail. Des télévisions aux radios, en passant par les journaux. Ce sont les réseaux sociaux qui ont sauvé bon nombre d’artistes.
Conséquence, il y a de la culture qui vibre, qui voyage, se développe, s’émancipe, et représente le pays à l’extérieur, sans que cela soit su par les populations. Cela nuit à la naissance de vocation.
Il y a une défiance de plusieurs artistes vis-à-vis des medias ; ils ont mauvaise réputation.
Elisabeth APAMPA : 28. Qu’est ce qui manque en général au Togo, pour se développer culturellement ? Et mieux valoriser ses talents ?
HORUS : De l’expertise, de l’intégrité, de l’organisation, de l’investissement, des infrastructures.
De l’expertise, je le mentionnais plus tôt, il faut du recyclage régulier et constant.
De l’intégrité, parce qu’il y a beaucoup d’arrivistes qui se servent de la culture comme ‘’bouées de secours’’, et ne prennent pas les métiers qu’ils embrassent avec sérieux
De l’organisation, parce que c’est notre plus grand péché. Non, débuter un concert avec deux heures de retard n’est pas une signe de succès, vendre plus de billets que de places n’est pas un signe de sérieux, sous-payer des artistes et des instrumentistes, des techniciens n’est pas signe de bonne gestion. Non.
De l’investissement, parce qu’il s’agit de faire comprendre que la culture génère de la richesse, ce n’est pas de la mendicité. Lorsque l’on est sûr de pouvoir générer des revenus, on n’hésite pas à solliciter des investissements.
Des infrastructures, car on n’a pas de salles. C’est un fait.
Elisabeth APAMPA : Oula, j’ai encore plein de questions pour toi, Horus. Mais pour l’instant, je vais m’arrêter ici. Je laisse mes lecteurs et lectrices se régaler avec cette conversation et revenir demain pour un nouvel échange avec toi. Et qui sait, dans les jours à venir, nous allons enfin réaliser ce podcast dont nous avons tant parlé. Avec tout mon respect.
Merci