Par Elisabeth APAMPA
Mars 2025, le monde se trouve à un tournant décisif dans la quête du développement durable et de la justice sociale. Depuis plus de trois décennies, une série de conférences mondiales ont jalonné le parcours des nations, posant les bases de grandes réformes et de stratégies collectives visant à améliorer l’éducation, la santé, l’égalité des genres, la lutte contre la pauvreté et la protection de l’environnement. De la Conférence mondiale pour l’éducation pour tous en 1990 aux Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés en 2015, chaque sommet a marqué une étape clé dans la définition des priorités mondiales et des engagements internationaux.
Alors que nous avançons vers l’évaluation globale des ODD prévue en 2030, 2025 représente une année charnière pour mesurer les progrès réalisés et identifier les défis persistants. Les inégalités économiques restent criantes, les effets du changement climatique s’intensifient et les tensions géopolitiques complexifient la mise en œuvre des politiques de développement. Dans ce contexte, il est urgent de questionner l’impact concret des engagements pris lors de ces grandes conférences : quels résultats ont été atteints ? Quels reculs ont été observés ? Et surtout, comment accélérer la dynamique pour garantir que les ODD ne restent pas une simple utopie, mais une réalité tangible pour les générations futures ? Cet article se propose de retracer l’évolution des grandes conférences mondiales depuis 1990, d’analyser leur influence sur les politiques internationales et de dresser un bilan des avancées et des défis qui persistent à l’aube de cette nouvelle phase d’action.
1990 : la conférence mondiale sur l’éducation pour tous (Jomtien, Thaïlande)
La Conférence mondiale sur l’éducation pour tous, tenue en 1990 à Jomtien, en Thaïlande, a été l’un des moments fondateurs pour l’éducation à l’échelle mondiale. Avec pour objectif d’offrir à tous un accès à l’éducation de qualité, cette rencontre a souligné le rôle central de l’éducation dans le développement humain. Le droit à l’éducation pour les filles et les femmes a été mis en avant, amorçant un changement de paradigme. Cette conférence a jeté les bases de l’agenda mondial en matière d’éducation et a permis d’identifier les défis à surmonter, notamment les disparités entre les sexes et les inégalités régionales. Mais rapidement, des défis émergent : les inégalités entre filles et garçons, les difficultés de financement et les réalités socio-économiques entravent les progrès. Il devient évident qu’un développement éducatif durable doit s’accompagner d’une transformation plus large de nos sociétés.
1992 : le Sommet de la Terre (Rio de Janeiro, Brésil)
Le Sommet de la Terre de 1992, également connu sous le nom de Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), a été un tournant majeur dans la réflexion mondiale sur le développement durable. Le sommet a vu la naissance de l’Agenda 21, un plan d’action pour la durabilité environnementale. Rio a également introduit le concept de « développement durable », qui a profondément influencé les politiques de croissance des nations tout en tenant compte des impacts environnementaux. Il a mis en évidence la nécessité de réconcilier les impératifs écologiques avec les enjeux économiques et sociaux. Les droits des femmes, notamment en matière de gestion des ressources naturelles et de participation à la prise de décisions, ont été reconnus comme essentiels pour garantir un avenir viable.
Une prise de conscience écologique naît.
1993 : la conférence de Vienne sur les droits de l’homme (Autriche)
La Conférence de Vienne de 1993 a été décisive dans l’affirmation de l’universalité des droits humains. Ce sommet a consolidé la notion selon laquelle les droits humains sont indivisibles et inaliénables, et qu’ils doivent être protégés sans distinction. Un des éléments clés de cette conférence a été la reconnaissance que l’égalité des sexes est indispensable à la réalisation des droits humains. En outre, il a permis d’affirmer l’importance des instruments juridiques internationaux pour garantir les droits des femmes et des minorités dans toutes les régions du monde.
Les Nations Unies réaffirment l’universalité des droits humains, insistant sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de discrimination.
1994 : la conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) (Le Caire, Égypte)
Le Caire en 1994 a marqué un autre jalon avec la Conférence internationale sur la population et le développement. La CIPD a mis l’accent sur la santé reproductive et la planification familiale, soulignant que les droits des femmes sont au cœur des politiques de développement. Le programme adopté à cette occasion a fait de la liberté de choix des femmes un principe central, ouvrant la voie à des politiques plus inclusives pour la gestion de la population, la santé, et les droits reproductifs à l’échelle mondiale. Ce fut un moment décisif pour la reconnaissance des droits reproductifs des femmes, dans un contexte où l’autonomisation et l’accès à la santé étaient considérés comme des leviers fondamentaux pour le développement.
1995 : la conférence de Pékin sur les femmes (Chine)
La Conférence de Pékin de 1995 a été l’un des événements les plus influents pour les droits des femmes à l’échelle mondiale. Le Programme d’action de Pékin a mis en place un cadre pour l’égalité des genres, abordant des questions telles que la violence faite aux femmes, la santé, l’éducation, et la participation politique. Cette conférence a renforcé la notion d’autonomisation des femmes et a fait un plaidoyer mondial pour la parité entre les sexes dans les processus décisionnels. Elle a jeté les bases d’une action collective pour éradiquer les discriminations et soutenir l’avancement des femmes dans tous les domaines.
1996 : la conférence internationale sur l’alimentation (Rome, Italie)
Sous le thème « Les femmes nourrissent le monde », la Conférence internationale sur l’alimentation a mis en lumière l’impact des femmes dans la sécurité alimentaire mondiale. L’agriculture durable, la lutte contre la faim, et l’autonomisation des femmes rurales ont été des priorités pour garantir une production alimentaire suffisante et de qualité. La conférence a souligné que pour nourrir le monde, il est essentiel d’améliorer les conditions de vie des femmes, en particulier dans les zones rurales, où elles jouent un rôle fondamental dans la production alimentaire.
1997 : la conférence sur le micro-crédit
La conférence de 1997 sur le micro-crédit a révolutionné la manière dont les femmes, en particulier dans les pays en développement, accédaient aux ressources financières. Ce fut l’occasion de mettre en avant le modèle de Grameen Bank, qui a montré que le micro-crédit pouvait être un outil puissant pour sortir des millions de personnes de la pauvreté. La conférence a prouvé que l’accès au crédit pour les femmes pouvait booster l’entrepreneuriat féminin et les soutenir dans leur rôle de moteurs économiques dans leurs communautés.
2000 : les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)
Les OMD, adoptés en 2000 par l’ONU, ont constitué un cadre global visant à réduire la pauvreté et à améliorer la vie de millions de personnes d’ici 2015. Parmi les huit objectifs, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, et la réduction de la mortalité maternelle étaient au centre des priorités. Bien que des progrès aient été réalisés, il reste encore des défis à relever, notamment pour les femmes et les filles, particulièrement dans les pays en développement.
2015 : les Objectifs de Développement Durable (ODD)
Les ODD ont succédé aux OMD et ont vu le jour en 2015. Les 17 objectifs de développement durable visent à éradiquer la pauvreté, protéger la planète, et garantir la prospérité pour tous d’ici 2030. Les ODD ont mis un accent particulier sur l’égalité des sexes, l’éducation, la justice sociale et la protection de l’environnement. Ces objectifs sont indissociables des engagements pris lors des conférences précédentes, mais cette fois-ci avec une approche plus inclusive, intégrée et ambitieuse.
2025 : Cinq ans encore…
Nous sommes à cinq ans de l’évaluation des ODD, une période pour mesurer les progrès réalisés, identifier les lacunes et redoubler d’efforts pour garantir que les engagements pris en 2015 se concrétisent. Le rôle des femmes et des jeunes reste central dans cette évaluation, car ils sont à la fois des bénéficiaires et des acteurs du changement pour un monde plus juste et plus durable.
Pour rappel, la communauté internationale a célébré le 30ᵉ anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, adoptés lors de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995. Cet anniversaire a été marqué par la 69ᵉ session de la Commission de la condition de la femme (CSW69), qui s’est tenue du 10 au 21 mars 2025 au siège des Nations Unies à New York. Cette conférence a constitué un moment clé pour évaluer les progrès réalisés en matière d’égalité des sexes et identifier les défis persistants à l’échelle mondiale. Elle s’est également inscrite dans la dynamique de l’Agenda 2030, notamment l’ODD 5, qui vise à atteindre l’égalité entre les sexes